L’interruption
Winter Sub est un de mes très rares soumis rapprochés. Il existe, entre lui et moi, un lien que je ne saurais vous expliquer, tant celui-ci est ancré et mystérieux. Retrouvez-N/nous ici dans un fort moment de transgression … Je vous souhaite bonne lecture,
Lisa
À ma mille Amour Adorée Maitresse
pour son anniversaire
Je l’attendais depuis toujours et elle est arrivée sans prévenir.
Je la sais en ville pour animer quelque séminaire de formation, et c’est tout à fait volontairement qu’elle me tient dans le vague sur ses disponibilités, son emploi du temps pour les prochains jours…
Elle est arrivée avant-hier, descendue des cieux européens au cœur de l’été, et depuis je n’ai reçu d’elle que ce billet laconique : Suis à l’hôtel, te ferai signe bientôt. J’ai cru que mon cœur allait éclater, je vacillais à proximité de la baignoire.
Elle est ce miracle imparable et pourtant invisible à mes yeux, je la sais ou plutôt la devine transitant entre le Ritz et la salle de réception du Neptune, insérée étincelante dans les artères du centre-ville, tandis que moi, je suis ici, chargé de cours estival, bêtement rivé à cette salle de classe étuvée, surveillant un examen qui n’en finit pas, et bandé comme un porc à l’idée de la croiser (ce soir? mon dieu faites que je la voie ce soir!) dans le hall du Ritz avec une clef d’argent mouillant la courbe de ses seins.
Deux ans se sont écoulés depuis notre premier contact sur Twitter; ce fut d’abord un vertige, une vague immense dont je n’apercevais pas la crête et qui me déposa, quelques semaines plus tard, aux abords de l’aile psychiatrique de l’hôpital Saint-Luc. L’interne m’avait expliqué, sur le ton qu’on adopte quand on veut faire comprendre quelque chose à un demeuré, que je ne pouvais pas me masturber sans cesse en pensant à une femme que je connaissais à peine, que je n’avais même jamais rencontrée, que je risquais d’y laisser la moitié de ma raison, sans compter les sévices irréversibles que j’infligeais à ma queue en la soumettant à un régime érectile qui dépassait de beaucoup ses moyens de production.
Néanmoins, et au mépris de ces sages recommandations, la correspondance s’était poursuivie sur une base quotidienne ou presque : j’étais fasciné, transporté, littéralement harponné; le moindre éclat de sa personne (un ongle, une mèche de cheveu, son ombre projetée sur le mur d’une chambre d’hôtel) me jetait dans des transes qui m’auraient abruti sans retour n’eut été de la discipline qu’elle m’imposait et du code de fer qui régissait nos rapprochements.
Je suis donc tombé vertigineusement amoureux de la plus grande dominatrice de la terre; elle était là-bas, j’étais ici, l’Atlantique tout entier nous séparait, et pourtant je veillais à ses pieds, je léchais en rêve la cheville qu’elle m’abandonnait parfois, j’étais sa chose, le foudroyé qu’Elle avait admis dans le cercle intime de ses possédés, ce vilain petit canard que la Déesse avait sauvé du naufrage, qu’elle contrôlait à distance et qui tentait ne pas trop démériter de son Miracle.
Quinze heures trente-deux. Encore une heure. Cette surveillance est interminable. Il y a toujours une quinzaine d’étudiants dans la classe… Mais nom de Dieu, que peuvent-ils bien écrire? Névrosés de la cote R, je les soupçonne de vouloir demeurer jusqu’à la fin, quand bien même ils n’ont plus rien à ajouter, plus rien à réviser, je les vois se jeter des œillades furtives à travers la salle, l’air de dire : tu vas sortir avant moi, je serai le dernier à quitter et serai le seul à mériter le titre de celui qui aura fait chier le prof jusqu’à la toute fin, lalalèreu.
Ce soir, il faut que ce soit ce soir. Quand elle m’a annoncé son arrivée, il y a deux jours, j’ai immédiatement tout préparé; les roses, le vin, les réservations; deux jours plus tard, me voici la barbe faite et l’alphabet endurci, je me tiens à la sortie de toutes les autoroutes, n’habitant qu’à moitié les tâches quotidiennes, vaquant à mes occupations dans un état d’hallucination érotique que notre rencontre imminente, je le sais bien, ne pourra qu’aggraver.
Quinze heures trente-sept. À toutes les cinq minutes, je sors de la classe, prends mes messages, hasarde quelques pas dans le couloir désert de l’aile C; je repasse une à une toutes les reliques photographiques que la Déesse m’a confiées depuis les deux dernières années : la joue étoilée, la nébuleuse des seins, la nuit ombilicale, les pieds appuyant sur le dos d’un esclave… Ou alors je rêve qu’elle s’étend sur moi de tout son long, nue extrêmement et, armée de sa seule force, qu’elle me terrasse à corps perdu, étoile à quatre branches me recouvrant de part en part et me murmurant à l’oreille que je lui appartiens si fort et si rigoureusement que je ne peux plus aller nulle part, nulle part, nulle part…
Je réintègre la classe, jette aux étudiants un regard vitreux, vaguement hostile; je circule à pas pesants entre les rangées, les mains dans les poches, tirant sur la fourche de mes jeans afin de dissimuler mon érection.
(Dieu du ciel, que ce monde est laid lorsque la Déesse s’en retire… Me dire qu’il n’y a encore pas si longtemps je pouvais m’extasier du flamboiement du soleil dans les vitres de la classe. Mais à présent, je ne vois rien de plus qu’une lessive aveuglante mousser son ennui astral sur le contour des meubles et des visages.)
Ce soir, peut-être. Ce soir très certainement.
On frappe à la porte d’un des bureaux de l’aile C. Sans doute un représentant attardé qui fait le pied de grue dans les couloirs en espérant refiler sa camelote scolaire à un collègue de maths ou de géographie. Bon, aussi bien aviser ce pauvre idiot que le collège est pratiquement désert à cette heure, qu’il ferait mieux de repasser demain, voire l’automne prochain…
Je sors de la classe. Mon bureau ne se trouve qu’à quelques mètres de la salle, tout juste en diagonale, de l’autre côté du couloir. Il y a là, face à la porte de mon bureau, une femme qui n’a rien d’une représentante.
Je la reconnais à l’instant où j’ouvre la bouche – qui ne se referme plus. Je sens mes genoux plier, mes pensées éclatent comme une nuée de goélands, et c’est à toute vitesse, sans rien penser, que je claque la porte de la classe derrière moi.
Maîtresse Lisa, Dionysia Athénaphrodite, ma toute Adorée telle qu’en elle-même – Elle ici, mais comment, mais pourquoi, mais ma Déesse il ne fallait p…
Elle est bien trop belle, plus mortelle encore que je pouvais me la représenter dans la succession de ses splendeurs numériques : son apparition fait reculer les ténèbres du couloir d’au moins mille ans. Je ne suis plus au collège, je suis aux portes d’une ville médiévale incendiée par des anges qui portent la croix et les cheveux longs.
Son manteau sur le bras, elle porte une juge courte, coupée à l’horizontale par une ceinture d’un noir éclatant, presque liquide; je vois la scission végétale de ses bas résille qui semblent érupter, pareils à une fontaine florale, de bottillons conçus dans les braises d’une forge volcanique; la raie des seins émerge, discrète, de l’encolure d’un tailleur cintré aux mesures de la mort – et ses lèvres minces, son œil clair, sa voix si chaude et à la fois si cristalline qu’elle semble couler de source transalpine – oui, c’est Elle multipliée par ses mille et un prodiges jusqu’à la fin de la nuit. Je repense une fois de plus aux mots de Rimbaud : machine aimée des qualités fatales, et nous y voici maintenant et pour toujours
………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………..
Maîtresse, je suis perdu, mais vous ne voulez rien entendre, n’est-ce pas? Comme je vous aime d’être si dure et à la fois si aérienne, vous planez au-dessus de ma catastrophe, et vous voulez que nous passions dans mon bureau, et tant pis pour ce que les gens vont penser, des conséquences que je subirai du fait d’abandonner mes étudiants comme ça, sans surveillance, en plein examen… Vous avez raison, voyez mon angoisse, et voyez comme je suis dur déjà. Mais je vous en prie, Déesse, laissez-moi au moins revenir en classe un court instant, prévenir les étudiants que… Ou alors laissez-moi donner un coup de fil à la réception pour que l’on m’assigne un remplaçant, je dirai que je suis indisposé, voilà, je… Pourquoi souriez-vous de la sorte, Maîtresse Amour?… Vous refermez la porte du bureau derrière nous, vous la verrouillez, vous décrochez le récepteur, décidément… Attendez… ici? Haha, mais Maîtresse, vous n’y pensez pas… Mais qu’importe puisque les caméras de la réception ont déjà tout capté, n’est-ce pas, le directeur des études est sans doute en train de monter à l’étage, peut-être accompagné du gardien de sécurité, je suis totalement foutu… Oui, mon bureau est très dépouillé, Déesse, je vous le concède, c’est ma pente monastique qui s’affirme dans la disposition du mobilier, et je vous prédis que dans cinq minutes, les premiers coups résonneront contre le bois de la porte… Mais permettez que je vous débarrasse de votre manteau, je fais un hôte bien exécrable, vous me connaissez, je suis la maladresse même, une ribambelle de gestes épars qui appelle votre rigueur et votre encadrement… Et bien entendu vous reconnaissez ma ceinture que vous débouclez déjà d’une main leste, vos doigts lancés sur le cuir comme une araignée qui momifie sa proie, vous doigts dotés d’une telle vitalité – et vos lèvres pareilles aux pétales d’une rose mûre que je lècherais sans fin — mais si vous me permettez une remarque, Déesse, une seule observation, une fois mes pantalons abaissés, il ne sera plus possible de revenir en arrière… Pour l’instant, rien n’est encore perdu, vous pouvez vous faire passer pour un parent d’élève qui devait m’entretenir en privé de toute urgence, oui, nous pourrions encore sauver les apparences, mais une fois le pantalon abattu autour de mes chevilles, vous comprenez… Mais vous avez déjà tout compris, tout su, tout planifié, je le vois à la façon dont vous me commandez de vous débarrasser de votre veste, de déboutonner votre chemisier… Ah! voici les premiers coups contre la porte! Je penche pour un étudiant qui va me demander si on peut interpréter le poème de Baudelaire *À une passante* comme une déclaration d’amour charnel du poète à l’endroit de sa vieille maman… Ma foi, Déesse, croyez-vous comme moi que tout soit possible? Oui, vous le croyez, vous ne seriez pas en train de ficeler ce gode monstrueux autour de votre taille si vous n’étiez pas intimement convaincue que les limites ne sont faites que pour être transgressées… L’étudiant posté derrière la porte doit déjà se douter de la nature de notre entretien, à moins qu’il ne tente de regarder par le trou de la serrure, oui, ce sont de très vieilles portes dotées de très vieilles serrures, de façon générale il s’agit d’un très vieux collège, tiens saviez-vous que ce bureau servait autrefois de chambre à coucher à quelque vieux Sulpicien?… Pardonnez ce bavardage, mais l’angoisse est intenable, je sombre avec vous dans une noirceur sidérale et c’est pourquoi je vous en conjure, Adorée Maîtresse : arrêtez tout sans quoi je serai traduit en comité disciplinaire, on va me suspendre pour la prochaine session, peut-être même définitivement (vous n’imaginez pas comme la direction est frileuse pour tout ce qui concerne l’image du collège), et alors je ne vaudrai pas mieux qu’un coyote errant par les terrains vagues et autres lieux désabandonnés… Je vous en prie, je ferai tout ce que vous voudrez, mais pas ici, pas maintenant, les étudiants me réclament, vous le voyez bien, je ne peux pas, je ne pourrai jamais… Et regardez comme je suis sage, comme je n’exige rien de vous, et pourtant, Déesse, savez-vous à quoi je pense à l’instant où j’aperçois votre ventre nu, ce ventre chéri autour duquel vous avez bouclé cette… chose…? Vous savez bien comme je voudrais enfouir cette langue bavarde au fond de votre nombril, gicler de la queue entre vos cuisses athéniennes et m’enfoncer dans votre Nuit, jouir à votre seule Étoile et pourtant, je n’exige rien, ne demande rien – si ce n’est de m’épargner en cet instant, je vous en prie, partez maintenant, attendez-moi au bar du Neptune, je vous y rejoindrai dans deux heures, le temps de compléter cette immonde surveillance d’examen, il le faut, c’est le devoir même, mais vous vous esclaffez et j’angoisse encore au plus près de votre Souveraineté, je veux ma ruine entre vos mains, ma tête entre vos jambes, ma langue roulant les roses de votre sexe, la déchirure est consommée, je me tais et me tourne docilement comme vous me le demandez, me penche sur mon bureau comme vous me l’ordonnez, prends appui sur les coudes tel que vous l’exigez, un fluide glacial s’immisce entre mes fesses, un lubrifiant je suppose, et tandis que les coups redoublent de force derrière la porte, que les voix étudiantes se mêlent aux voix administratives pour me menacer des plus terribles représailles qui se puissent concevoir, je n’en ai que pour ce fluide qui m’inonde le derrière, votre main qui m’empoigne la queue avec sévérité — et votre gloire qui me fend progressivement le cul, je vous aime, Maîtresse Amour, je vous aime tant, vous qui introduisez l’apocalypse dans mon fondement, vous qui mêlez les blasphèmes les plus noirs aux berceuses les plus angéliques, vous qui me consolez de la plus grande douleur concevable avant les convulsions de ma queue entre vos doigts de Reine, oui, je vous aime tant et tant, vous adore comme un taureau mugissant qu’on mène à l’abattoir aux petites heures du matin, ma toute Amour, recevez ici ma capitulation la plus complète, que votre anniversaire arrive à tous les jour de votre vie, et à l’instant où on fracasse la porte de mon bureau, j’envoie au diable tous ces porcs grands et petits, je crie comme je vous appartiens jusqu’à la fin de ma vie, je me relève de la nuit enfoncée dans mon néant, je gicle un océan de foutre sur les copies de mes étudiants et j’attends que vous me coupiez le souffle pour toujours – Dionysia Athénaphrodite, mon Aurore, ma Déesse, ma Folie totale jusqu’à la toute fin des temps.
Winter Sub
Montréal
janvier 2021
Vouz avez apprécié la lecture de cette publication ?
Apportez moi votre concours pour que je continue à publier et à écrire, encore et encore, sur ce blog.
Montrez moi que vous avez aimé cette lecture, en m’offrant un café sur : https://ko-fi.com/lisamachiavelle
Je vous en remercie chaleureusement par avance,
Lisa
Magnifiquement écrit. A la Gloire de sa Déesse.
Des mots magnifiques pour une rencontre qu’il l’est tout autant.