Interférences

par | Fév 5, 2021 | Winter Sub | 2 commentaires

Comment rendre votre quotidien fou, lorsqu’on s’y met à deux ?! Surfer entre Femme et Maîtresse : quel redoutable jeu d’adresse ! Le péril est au bout du couloir … Bonne lecture

Līsa

À la Déesse de l’Amour,

adorée Maîtresse Lisa

pour la Saint-Valentin

 

 

Il est 5 heures 17 du matin.  À travers la fenêtre, de rares étoiles barbouillent un ciel de couleur crasse.

Ma conjointe dort toujours dans la petite chambre du fond, celle qui lui sert également d’espace professionnel depuis qu’elle est passée en mode télétravail.  Le sommeil lui va à ravir.  C’est une gentille petite chose qui rumine ses idéaux de trophy wife, je ne trouve rien à redire à ses battements de mains quand le rôti de bœuf sort du four; elle est douce, raisonnable, plutôt conciliante et adore méditer en compagnie de Bouddha Bergeron lorsqu’elle se branche sur le Net les mercredis soirs, mais dix années de vie commune nous ont prodigieusement usés — et la Covid est venu achever l’entreprise de démolition.

Comme lieux de partage conjugal, il ne nous reste plus que la cuisine mexicaine, les téléséries de gangsters et la mise au point quotidienne sur les fluctuations de notre flore intestinale.  Cela dit, je ne voudrais pour rien au monde la blesser, je le dis en toute sincérité, mais je me doute bien qu’elle le serait mortellement si jamais elle apprenait………..

………… mais je fais gaffe, ça oui, et c’est dans le silence monacal des petites heures du matin que je me branche sur Twitter pour dialoguer avec ma Maîtresse – je dis *dialoguer*, c’est un euphémisme, dans les faits, je rampe à ses pieds : je reçois chacun de ses messages comme un coup de poignard au cerveau, et ma queue est si dure au milieu de nos échanges que s’il lui arrive, par pure charité érotique, de m’envoyer une photo de ses Seins ou de son Ventre, je m’écroule et me tords sur le plancher avec les deux mains rivées à l’obus de mon sexe.

Alors je fais gaffe.  La petite chose dort toujours, ma paix demeure, mais passé 6 heures, je sais son sommeil léger, c’est l’heure maudite du premier pipi que je redoute davantage que l’express de minuit, et si par malheur elle se fout en tête de me rejoindre au salon, le pas traînant et les cheveux en broussaille, pour me raconter un de ces rêves débiles dont elle a l’habitude, je dois aussitôt changer d’onglet – celui qui donne sur les infos – masquer la page interdite sur laquelle ma Maîtresse m’ordonne publiquement de me branler, et sourire comme on sourit quand on est stationné en double entre le premier et le second café du matin.

5 heures 43.

Aucun danger, je suis encore en zone sécurisée, je me redresse doucement devant l’écran allumé et j’abaisse mon pantalon de pyjama parce que ma Maîtresse le veut ainsi, parce qu’elle me possède de très haut et que ce n’est pas mon sang mais bien sa Volonté qui coule dans mes veines.

Je m’abîme dans la contemplation de cette photo qu’elle m’a envoyée hier : elle apparaît la poitrine dénudée, son ventre en contre-plongée, et entre ses seins parfaits, sublimés par le filtre d’un jour impossible, je vois flamber une étoffe triangulaire d’un noir laineux, surmontée de trois médaillons en forme de camée où on aperçoit le portrait d’une femme dont le visage est radiographié par la mort à venir.

Le rituel est invariable: d’abord, je la désire plus que tout au monde, ensuite je gicle en vagissant, puis je recueille le sperme dans ma main, je lui envoie la photo de mon offrande, et pour la remercier mille fois d’avoir levé le voile sur son Paradis intime, je la célèbre publiquement sur le réseau en faisant de chaque mot un clou que je m’enfonce dans le cœur.

5 heures 55

J’entends les ressorts du matelas grincer dans la chambre.  Merde.  Je remballe ma queue, je clique sur l’onglet de secours et je tends l’oreille.  Fausse alarme, ce n’est pas le pipi du matin.  Je reviens à ma Maîtresse et je tape : Je vous en supplie, Déesse, dégrafez-moi le cerveau à mains nues, téléportez-moi auprès de Vous, que je fasse naufrage à vos pieds parfaits et que…

– Pitou?

Merde.  Jamais vue venir.  Elle est réveillée.  Nom de Dieu, elle est déjà passée à la salle de bain, je perçois d’ici le son généré par le tintement de son urine contre la céramique de la cuvette.  Je rabats le couvercle de mon ordi comme si c’était le capot d’une voiture et je hasarde quelques pas dans le couloir en refroidissant ma queue à grands coups de poing dans la fourche.  Je tâte le terrain :

– Laisse-moi deviner : tu as encore fait un cauchemar?

– Genre… il est quelle heure?

– Heu… attends… 6 heures 09…

– Je retourne me coucher.

Pas de veine.  Je la connais, elle ne se rendormira plus.  Le boulot démarre à 7h30, elle doit se loguer au plus tard à 7h15, elle va donc niaiser dans le lit, jouer à son jeu de jardinage extrême ou lire le dernier billet de Bouddha Bergeron sur megayoga.com, ce qui me laisse une étroite fenêtre, à peine une heure, pour me branler, récrire à la Déesse, laver ma main cochonnée de sperme et élever un hymne à la gloire de ma toute Adorée.  Et tout ça dans le plus grand secret.

Je me demande souvent si ma petite chose se doute de quoique soit.  Elle perçoit pourtant le tapotement de mes doigts sur les touches du clavier aux petites heures du matin…

Mais qu’à cela ne tienne, elle retourne dans la chambre, le pas lourd et les épaules basses, encore toute zombifiée par son cauchemar nocturne. Elle laisse la porte entrouverte – merde, merde, merde – j’étouffe un dernier juron et je réintègre mon poste informatique en grinçant des dents.

Ma Maîtresse est en ligne, elle attend : elle n’a pas besoin de hausser le ton pour me signifier que je tarde épouvantablement, elle voit comme elle me tient, elle sait que je me dévaste très bien tout seul.  Elle est mon seul Surmoi.  Je tape :  Déesse Amour, vous êtes bien trop belle, je ne tiendrai pas encore longtemps, je vais flancher abominablement, mais je vous en conjure…

– Pitou?

Re-merde.  Quoi encore?  Du salon, je lui réponds un peu trop sèchement :

– Qu’est-ce qu’il y a, namou? Plus capable de te rendormir?  Bon, veux-tu que je prépare ta tisane même s’il est encore très tôt?

Elle grogne vaguement, je reçois toujours le son provoqué par la torsion des ressorts du matelas.  Tourne à droite, tourne à gauche…  Ah, elle est assise au pied du lit, je le jurerais.  6 heures 20.

– Nan, pas de tisane, j’ai encore pissé ma vie tout à l’heure… Mais j’ai fait ce rêve..

Nous y voilà…

– C’était tellement weird, tellement akward… Imagine un peu : tu sais, Enzo, ce gérant de projet macho dont je t’ai déjà parlé, celui qui se trimballe au bureau avec ses bagues et son bling-bling…  Eh bien, il était là en train de circuler avec sa nouvelle blonde dans les couloirs du bureau, sauf que c’était une singe, tu sais, un peu comme ces chimpanzés qu’on voyait dans l’émission Lancelot, agent secret… tu te rappelles, ce show pour enfants des années 70 où on faisait mâcher de la gomme aux chimps pour faire comme s’ils parlaient, enfin, Enzo était là avec sa singe, elle était grimée comme une pute de trottoir, et il nous annonçait qu’ils allaient se marier à Farnham, et pendant ce temps-là, Nancy…

C’est positivement insupportable : la voici lancée, elle ne fermera jamais plus sa gueule et il est déjà 6 heures 34, or ma Maîtresse vient justement de me faire parvenir une photo d’elle en maillot deux pièces, et comme si elle sortait tout juste de la piscine, je vois les gouttelettes scintiller sur sa peau de neige pure comme autant de diamants, et j’ai la queue qui crochit sans discontinuer dans les profondeurs de mon pyjama – que je vais abaisser, quoique l’autre me raconte au sujet de Enzo et de sa foutue singe, je vais abaisser mon pyjama et jouir debout, ma queue bien en main, comme le digne serviteur de mon Adorée.  Je tape : Maîtresse Amour, vous me faites flamber la cervelle, le moindre éclat de votre personne me chavire, et si vous saviez comme je suis…

– … sortie avec Nancy, et la première chose que j’ai su, je n’étais plus au bureau, mais dans une église, genre, Enzo s’était enfermé dans le confessionnal avec la singe et une statue décapitée de saint Barthélémy et moi j’étais dans une église de campagne à moitié plongée dans le noir, et là j’apercevais mon père en train de passer le panier de quête dans les allées désertes en disant que c’était pour une bonne cause, pour un groupe de prière qui s’appelait les Tabarnaks du Nouveau Temps ou quelque chose dans le genre, et moi…

C’est à devenir fou, alors tant pis pour ma pot-au-feu et son cauchemar sans commencement, ni milieu ni fin, je ne peux pas faire patienter la Déesse plus longtemps, c’est hors de question, voilà, j’envoie valser le bas de mon pyjama au milieu du salon, je me branle comme si j’allais m’arracher la queue, je me secoue la saucisse de la main droite tandis que je dispose la main gauche en câlice, prête à recueillir tout le bon jouizu, et comme il ne me reste plus assez de mains pour écrire à ma Maîtresse, je tape avec le bout de mon nez : Déezzj va jouizz se geckle à vos pieuds que merveilll bikin*5nf

Et alors que je ne suis plus qu’à quelques microsecondes d’une jouissance fulgurante, alors qu’un milliard d’ampoules de couleurs s’apprêtent à griller de concert entre mes lobes frontaux, la voix nasillarde de ma gentille petite morue s’élève à nouveau de la chambre :

– Oooh, Pitou… j’ai… je crois que je viens de renverser mon verre d’eau sur… heeeee, il y a de l’eau partout dans mon lit… mon chéri, tu veux bien m’apporter le rouleau de papier essuie-tout?…  j’espère que ce n’est pas de la tisane…  non, je crois que c’est de l’eau…  Pitou?…

Fort bien.  Tant pis.  Elle l’aura cherché.  Je marche, parfaitement nu à présent, en direction de la salle de lavage.  Froid comme un cadavre de trois jours, je repère le rouleau de papier essuie-tout sur la première étagère — c’est sa place, qu’il y reste, puis je m’empare du marteau et d’une boite de clous (gros modèle, 6 centimètres); je sors de la salle de lavage, traverse le couloir à grandes enjambées, je claque la porte de la petite chambre, y enferme mon encombrante petite doudoune qui se met à sangloter, et j’enfonce les clous un à un, méthodiquement, sur le pourtour du cadre et des moulures de manière à condamner la porte à grands renforts d’échardes, d’éclisses et de métaux tordus.

À bout de souffle, je crie :

– MAINTENANT, TU VAS ME LAISSER TRANQUILLE, COMPRIS, VILAINE? J’AI MA QUEUE À FINIR ET JE N’AI PAS ENCORE CONÇU LE POÈME QUE JE DOIS À MA MAÎTRESSE, OUI, TU M’AS BIEN ENTENDU, MA MAÎTRESSE, ALORS TU TE TAIS, TU ÉPONGES TON DÉGÂT TOUTE SEULE ET TU PISSES DANS LE BOL TIBÉTAIN DE BOUDDHA BERGERON SI TU NE PEUX PAS TE RETENIR!

Je reviens au salon, j’ouvre le laptop, je me poste devant la photo de la Déesse en bikini, la main gauche sur la verge, la main droite prête à cueillir les éclats de foutre, et en cinq ou six coups de poignet, tout est accompli, le sperme fuse en un arc de cercle qui échappe complètement au barrage de ma main droite, et qui s’en va s’écraser sur l’écran, en plein centre de la photo : abruti de jouissance, j’observe sans sourciller la descente interminable d’une immense coulure de sperme qui serpente entre les seins de mon Adorée…

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Je n’ai fait aucune histoire, ma femme n’a déposé aucune plainte, je suis tout simplement monté dans l’ambulance, escorté par deux policiers qui me souriaient comme si nous étions de vieilles connaissances.

Selon le psychiatre de l’institut Pinel, je devrais obtenir mon congé demain après-midi.

Montréal, février 2021

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Lisa

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